Détection précoce des maladies et suivi médical : les capteurs portables comme solution en santé
Ces capteurs portables se présentent sous plusieurs formes : on trouve des accéléromètres qui mesurent la vitesse, des capteurs gyrométriques qui mesurent la trajectoire, des capteurs optiques qui permettent la prise d’image et la reconnaissance de certains éléments, des capteurs thermométriques qui prennent la température, etc. Ils peuvent être intégrés dans différents supports comme les tissus, les bandeaux élastiques, les petits objets. En bref, ils peuvent être présents dans nos objets du quotidien, alors appelés « wearables », et être portés de manière non-invasive. Ils permettent entre autres de mesurer des données physiologiques telles que la température corporelle, le niveau de sudation, le rythme respiratoire ou cardiaque. Dans la majorité des cas, ces capteurs sont reliés par un réseau sans fil à un récepteur – moniteur ou téléphone portable – qui permet de suivre les constantes. Depuis le début du 21ème siècle, nous voyons ce genre d’outils entrer dans notre quotidien, par exemple à travers l’Apple Watch, qui permet de capter la fréquence cardiaque pendant un exercice physique ou au repos, en temps réel.
Les « wearables » gagnent de plus en plus de terrain : d’après un rapport publié en 2020 par Grand View Research, le marché de ces objets connectés, qui avait une valeur de 32,63 milliards de dollars en 2019, devrait augmenter de 15,9% par an entre 2020 et 2027, avec une croissance particulière dans le domaine de la santé. Outre la montre connectée, qui représentait un peu moins de la moitié du marché des wearables en 2019, une multitude d’objets deviennent des supports à capteurs portables, comme les bagues ou encore les chaussures.
Ce marché s’est développé dans un premier temps sous la forme de produits et services de bien-être ou de fitness. Mais dans un monde de santé qui se digitalise, des méthodes de suivi des patients à distance se développent grâce à ces capteurs portables qui permettront à terme de suivre en direct des patients atteints de maladies cardiaques ou encore de détecter la chute d’une personne âgée et d’intervenir au plus vite.
Les capteurs en période de COVID-19 : un atout pour la détection précoce de la maladie
La recherche sur l’utilisation de tels dispositifs pour la détection de maladies et le suivi des malades a augmenté significativement depuis 2014, comme le montre le nombre d’articles scientifiques publiés à ce sujet chaque année sur Scopus, passant de 223 publications en 2014 à 855 en 2020. La crise de la COVID-19 a également été lieu de publications spécifiques sur la détection précoce dans un contexte de pandémie grâce à des « wearables ». Ainsi le journal Nature Medicine a publié fin Octobre une étude sur l’utilisation de données issues de capteurs portables pour aider à la détection du COVID-19. L’équipe de chercheurs a développé une application permettant de recueillir les données issues de montres connectées de 30 529 participants entre mars et juin 2020.
Ces données ont été recoupées avec l’auto déclaration d’éventuels symptômes de la part des participants et avec les résultats de tests COVID-19. Les résultats de l’étude montrent que le cumul des données de sommeil, d’activité sportive et de rythme cardiaque au repos des participants et des déclarations de certains symptômes sont fortement corrélées au diagnostic de la COVID-19 et permettent de différencier les participants symptomatiques mais n’ayant pas la COVID-19 de ceux qui étaient effectivement atteints par le virus. Cette étude met en lumière le potentiel d’utilisation des données physiologiques obtenues grâce à des capteurs placés dans des objets que nous portons au quotidien pour aider au diagnostic de certaines maladies. Une utilisation à grande échelle de telles données pourrait permettre une détection plus rapide des individus malades, ce qui rendrait plus facile une prise en charge rapide.
Les capteurs portables en Santé : ambivalence entre les opportunités et les limites
Les avantages des capteurs portables dans le domaine de gestion de la santé sont nombreux. Le suivi en temps réel des constantes physiologiques d’un individu permet de créer un référentiel personnalisé pour cet individu et de se baser sur ce référentiel pour détecter des anomalies. L’exemple du rythme cardiaque est parlant : si l’on considère communément que le rythme cardiaque au repos devrait être compris entre 60 et 100 bpm, le panel de rythmes cardiaques « normaux » en vie réelle est bien plus étendu. En effet certaines personnes ont un rythme cardiaque au repos de 40 bpm, et se trouvent à un rythme inquiétant à 90 bpm, alors que cette valeur est comprise dans la fourchette « normale ». Ainsi, se baser sur les constantes habituelles des individus permettrait de détecter rapidement un changement qui sort de leur propre norme, et donc d’agir rapidement en conséquence. Pour les maladies connues chez un patient, les capteurs pourraient également permettre un suivi en temps réel par le médecin de certaines constantes représentatives, à distance. Cela éviterait à la fois au patient et au médecin de planifier des rendez-vous médicaux non nécessaires et d’intervenir rapidement en cas de problème inattendu. Comme dans le cas de l’étude citée précédemment, certaines maladies contagieuses comme la grippe ou la COVID-19 pourraient rapidement être détectées et prises en charge.
Cependant, comme le suggère une étude publiée en Avril 2020 par une équipe de chercheurs de l’université Bina Nusantara à Jakarta en Indonésie, même si les capteurs portables représentent un potentiel important pour l’utilisation dans des contextes médicaux, ces outils manquent encore aujourd’hui de précision. Un exemple a été mis en évidence par des chercheurs de Stanford qui ont montré que parmi 7 wearables étudiés (Apple Watch, Basis Peak, Fitbit Surge, Microsoft Band, Mio Alpha 2, PulseOn et Samsung Gear S2), pas un n’indiquait la dépense énergétique réelle à son utilisateur et que l’outil qui se rapprochait le plus de la réalité en dérivait tout de même de 27%.
La présence de capteurs dans des objets du quotidien pour un suivi ou une détection de maladie présuppose aussi que ces objets soient portés continuellement, ce qui peut devenir une contrainte ainsi qu’un facteur d’anxiété. Dans une étude réalisée pour le journal The Conversation, 200 femmes utilisant le bracelet connecté Fitbit pour mesurer leurs performances sportives et aider à maintenir un style de vie sain et équilibré ont été interrogées : 89% des participants ont déclaré ne l’avoir enlevé que pour recharger l’outil, 79% ont déclaré se sentir sous pression d’atteindre les objectifs journaliers fixés par Fitbit et 59% se plaignaient même de l’impression que Fitbit contrôlait leur quotidien.
Se pose également la question de la gestion massive de données et la potentielle perte de contrôle de l’individu sur ses propres données de santé. Dans une enquête publiée en 2019, The New York Times mettait en avant le fait qu’un grand nombre d’entreprises récupéraient les données sur les déplacements des individus, en se servant des données entre autres GPS émises par leurs téléphones portables. L’augmentation des « wearables » et donc de la transmission d’information en ligne pourrait également avoir pour conséquence indirecte l’augmentation de l’utilisation des données personnelles à des fins autres que médicales, et donc la perte de contrôle sur ces données par les individus utilisant des « wearables ».
Enfin, il semble important de souligner qu’aujourd’hui, les wearables restent des objets onéreux, à l’image de l’Apple Watch disponible à partir de $400, soit 336€ pour le modèle le moins sophistiqué. Si le développement de l’utilisation des wearables à des fins médicales se poursuit, il pourrait résulter de ces prix élevés des inégalités vis-à-vis de populations en-dessous d’un certain seuil de revenus, et donc creuser l’écart entre populations pauvres et riches en matière d’accès aux soins.
En conclusion, les capteurs portables se développent de plus en plus en santé et offrent des possibilités élargies d’accompagner des patients et de détecter des maladies à un stade précoce, ce qui permettrait une amélioration globale de la prise en charge médicale, notamment en période de crise sanitaire. Toutefois, il conviendrait de renforcer dès à présent le cadre légal autour du traitement et de la transmission de données personnelles, ainsi que de développer des outils accessibles à tous tout en veillant à préserver le bien-être psychologique des utilisateurs de plus en plus nombreux, afin que le bénéfice santé potentiel de ces nouvelles technologies ne soit pas terni par l’apparition de nouveaux problèmes de santé directement liés à l’utilisation des « wearables ».
© Oura
A propos des auteurs
Benjamin, Grand Explorateur Santé Numérique d’Alcimed en France
Amélie, Consultante dans l’équipe Sciences de la Vie d’Alcimed en France