La crise de santé publique du COVID-19 a fait monter en flèche les troubles mentaux et a provoqué un essor des applications de santé mentale. Si les troubles mentaux étaient déjà très répandus, la pandémie de COVID-19 a fait apparaître en effet de nouveaux défis, avec une recrudescence de l’anxiété, de la dépression et d’autres problèmes touchant des personnes de tous âges et horizons. Un chiffre résume cette situation, une enquête menée par le Center for Disease Control and Prevention en juin 2020 a révélé que 40 % des personnes interrogées avaient déclaré avoir été confrontées à des problèmes de santé mentale ou d’abus de substances pendant la pandémie.
L’avènement des applications et des biomarqueurs numériques donnent aujourd’hui de nouveaux moyens d’intervention pour améliorer la prise en charge. Ainsi, alors que les outils digitaux se multiplient, Alcimed passe en revue 4 catégories d’applications et leurs résultats à date ainsi que les limites et enjeux pour le futur.
La santé mentale est un problème crucial touchant des millions de personnes dans le monde
L’Organisation Mondiale de la Santé estime qu’une personne sur quatre connaîtra un problème de santé mentale à un moment ou à un autre de sa vie, et qu’une personne sur huit, soit 970 millions de personnes, vivait avec un trouble psychique en 2019.
Ces chiffres mettent en évidence l’ampleur de la prévalence des troubles mentaux et soulignent la nécessité d’approches innovantes pour répondre à ces défis.
Comment sont utilisées les applications mobiles pour la santé mentale ?
Les applications de santé mentale ont connu un véritable essor avec une hausse des téléchargements de 40% au niveau mondial et de 85% en France entre fin décembre 2019 et fin mars 2020. Afin de mieux comprendre cet écosystème, nous proposons une classification en quatre catégories principales, bien qu’elles ne soient pas mutuellement exclusives.
Catégorie n°1 : pour la pleine conscience et la méditation
Les applications de pleine conscience et de méditation sont conçues pour aider les individus à pratiquer des techniques de relaxation et de pleine conscience. Elles proposent une variété de méditations guidées, d’exercices de respiration et d’autres techniques visant à réduire le stress et à améliorer le bien-être mental.
Parmi les 280 applis de pleine conscience et de méditation disponibles sur l’iTunes Store, citons Headspace, la seule application de méditation ayant été scientifiquement étudiée et bénéficiant de 2 millions d’abonnés et 65 millions de téléchargement, ainsi que Calm, avec 4 millions d’utilisateurs et plus de 100 millions de téléchargement. Cette popularité est d’autant plus significative lorsque l’on considère les chiffres alarmants liés à la santé mentale de la population mondiale.
Catégorie n°2 : pour l’auto-assistance et la thérapie cognitivo-comportementale (TCC)
La TCC (Thérapie Cognitivo-Comportementale) est un type de thérapie qui se concentre sur l’identification et la modification des schémas de pensée et de comportement négatifs. Par exemple, en cas d’insomnie, la TCC aide à comprendre quelles croyances dysfonctionnelles peuvent engendrer des émotions négatives et comment restructurer ces biais cognitifs ou pensées automatiques, pour retrouver un bon endormissement ou sommeil.
Parmi les applis de TCC les plus populaires, citons MoodKit avec plus de 200 activités proposées, Sanvello, avec plus de 3 millions d’utilisateurs et Happify avec plus de 500 000 téléchargements.
Catégorie n°3 : pour le suivi des humeurs et des symptômes
Les applications de suivi permettent aux utilisateurs de surveiller et d’enregistrer leurs émotions et leur état d’esprit quotidiens, afin de mieux comprendre leur santé mentale. Elles ont tendance à utiliser des entrées de journal, des traqueurs d’humeur et d’autres outils pour aider les utilisateurs à suivre leurs émotions au fil du temps ; l’objectif principal étant d’aider les utilisateurs à prendre conscience de leurs émotions, à détecter les tendances et les changements, et à faciliter une meilleure compréhension de leur états mentaux et émotionnels.
Parmi les applis de suivi de l’humeur les plus populaires, citons Moodfit, qui a été voté meilleure application de santé mentale en 2020, 2021 et 2022 par le site web dédié à la santé mentale Verywell mind, Daylio et Mood Tools, qui propose des outils tels que l’élaboration d’un plan de sécurité sur lequel s’appuyer en cas de détresse psychologique.
Catégorie n°4 : pour l’accès à des professionnels et à des pairs
Les applications de soutien offrent aux individus une communauté de personnes qui vivent des expériences similaires ou bien les connectent avec des conseillers spécialisés. Elles offrent un espace où les individus peuvent partager leurs histoires, se connecter avec d’autres et recevoir un soutien émotionnel.
Parmi les applis de soutien par les pairs les plus populaires, TalkLife, avec plus de 2,5 millions d’utilisateurs, Peer Collective, élu la meilleur application de soutien par les pairs en 2021 par Verywell mind, et HeyPeers sont populaires auprès des utilisateurs.
Une croissance de la santé mobile stimulée par l’IA
Les applications de santé mentale font partie du vaste domaine de la santé mobile, qui est en très forte croissance : les estimations tablent sur 17,6 % par an d’ici 2028, pour atteindre une valeur de 166,2 milliards de dollars.
L’intégration de l’IA dans ces outils digitaux soutient fortement cette croissance, et 3 raisons clés d’utiliser des algorithmes d’IA peuvent le démontrer :
- L’analyse de vastes ensembles de données pour identifier les schémas et les facteurs de risque associés aux troubles mentaux, ce qui peut aider les professionnels à élaborer des plans de traitement plus efficaces.
- La personnalisation et adaptation des recommandations en fonction des actions du patient et de la réalisation des exercices.
- L’utilisation de biomarqueurs numériques pouvant fournir des informations précieuses sur l’état de santé mentale d’un patient, ce qui permet aux professionnels d’intervenir rapidement et de prévenir le développement d’affections plus graves.
Quelles sont les limites des applications de santé mentale et des outils alimentés par l’IA ?
Les outils digitaux offrent de nouvelles perspectives pour le soutien et la gestion des troubles mentaux, mais elles présentent également des limites importantes à prendre en considération. Il est crucial de comprendre ces limites afin de garantir une approche globale et adaptée au bien-être mental.
Nous avons identifié 4 grandes limites des solutions de santé mentale digitales :
Des informations incomplètes sur les effets sur la santé mentale
En termes d’impact concret et démontré, le paysage est très contrasté. Seulement 5 % des applications ont fait l’objet d’une étude, de ce fait l’efficacité n’a pas été prouvée pour un grand nombre des solutions déjà disponibles. En 2020, on estimait que seulement 3 à 4 % de toutes les applis de santé mentale étaient fondées sur des données probantes.
Toutefois, des preuves de plus en plus nombreuses tendent à montrer l’impact positif de ces outils digitaux. Par exemple, une méta-analyse de dix essais contrôlés randomisés a révélé que les interventions basées sur les smartphones entraînaient des améliorations modérées des symptômes d’anxiété et de dépression chez les jeunes.
L’une des difficultés dans la démonstration de l’efficacité de ces outils vient du fait que leur utilisation reste au bon vouloir de l’utilisateur, et difficilement contrôlable. Ainsi, selon une étude menée sur 93 applications, l’engagement utilisateur reste bas en vie réelle avec un pourcentage médian d’utilisation active hebdomadaire de seulement 4% On notera par ailleurs, une différence d’engagement entre les applis de méditation (1,6%), de suivi d’humeur (6,3%) et de soutien par les pairs (17%).
L’absence de surveillance professionnelle
Alors qu’on recense aujourd’hui entre 10 000 et 20 000 applications de santé mentale disponibles sur les plateformes, elles ne sont pas toutes perçues positivement par les psychologues. En effet, certains craignent que ces outils remplacent la thérapie tandis que d’autres les perçoivent plutôt comme un support à domicile lors d’un suivi professionnel. De plus, toutes les applis sur les app stores ne sont pas forcément surveillées. Par exemple, la Food and Drug Administration ne régule que celles classées en tant que « Digital therapeutics », ou thérapies digitales, pour lesquelles il faut avoir scientifiquement démontré les bénéfices thérapeutiques de leur utilisation.
Bien que ces solutions puissent être utiles pour gérer les symptômes et améliorer le bien-être, elles ne sont pas conçues pour remplacer l’expertise et les conseils de professionnels agréés. En effet, l’utilisation d’une TCC sur internet guidée par un professionnel de santé s’est également révélée plus efficace qu’une TCC sur internet non guidée, montrant ainsi l’importance d’inclure des professionnels dans les soins numériques.
L’utilisation de ces outils digitaux pourrait retarder la recherche de soins appropriés ou passer à côté de signes d’alerte critiques, notamment puisque les personnes souffrant de maladies mentales graves peuvent avoir besoin d’un traitement plus intensif que celui fourni par une application, et peuvent avoir besoin d’une thérapie en personne ou d’une gestion des médicaments.
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Un accès limité pour certains groupes de personnes
Les outils numériques peuvent être particulièrement utiles pour les personnes vivant dans des zones rurales, car elles ont souvent un accès limité aux soins de santé mentale en personne, pour les personnes confrontées à des contraintes financières ou pour les personnes ayant un emploi du temps chargé, car elles peuvent bénéficier de la commodité d’une application à laquelle elles peuvent accéder à tout moment.
Cependant, certaines populations peuvent encore être confrontées à des obstacles d’accès. Par exemple, les personnes âgées peuvent manquer de culture numérique ou ne pas avoir accès aux smartphones ou autres appareils nécessaires.
Une protection de données qui reste à être clarifiée
Enfin, la confidentialité et la sécurité des informations collectées suscitent des inquiétudes. Les personnes partageant des informations sensibles, il est essentiel de veiller à celles-ci soient protégées contre tout accès non autorisé ou toute utilisation abusive.
En tant que tel, le paysage réglementaire est toujours en évolution, avec des débats en cours sur des questions telles que la propriété des données, le consentement éclairé et la responsabilité.
La réglementation a également évolué en réponse à la crise du COVID-19. Par exemple, la Food and Drug Administration a publié un document d’orientation en réponse à l’urgence de santé publique en matière de santé mentale, déclarant qu’elle n’exigerait pas d’approbation réglementaire pour les applications à faible risque. Par conséquent, avec plus de 10 000 applis disponibles, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour s’assurer que ces outils fournissent un soutien clinique de qualité fondé sur des données probantes.
La santé mentale est un problème complexe et urgent, et les solutions numériques peuvent jouer un rôle important dans la résolution de ce problème. De plus, l’intégration de l’IA ouvrira encore à l’avenir de nouvelles opportunités et pistes de développement. Cependant, il est important d’aborder ces solutions avec un regard critique, en comprenant à la fois leurs avantages et leurs limites. Les applis peuvent constituer un outil précieux pour suivre les symptômes, fournir des ressources d’auto-assistance et mettre les individus en contact avec des professionnels agréés. Toutefois, elles ne remplacent pas les soins de santé mentale traditionnels, et les préoccupations relatives à la confidentialité et à la sécurité des informations doivent être prises en compte. En fin de compte, certains des principaux enjeux de la santé mentale numérique consistent à améliorer les soins et la génération de données tout en veillant à ce que la qualité des soins reste personnalisable et axée sur la qualité. Alcimed est là pour accompagner les différentes parties prenantes dans cette transition. N’hésitez pas à contacter notre équipe !
A propos de l’auteur,
Zoé, Consultante au sein de l’équipe Santé d’Alcimed en France