De nouveaux besoins créés par les mutations du secteur de la défense
Le besoin d’optimiser et de capitaliser sur les actifs existants
Malgré une croissance des dépenses militaires, les délais entre la décision d’acquisition, le développement et la mise en service d’équipements opérationnels restent significatifs. Il en résulte la nécessité d’optimiser les actifs existants. Cela implique non seulement d’augmenter la disponibilité des équipements, mais aussi d’accroître leur efficacité opérationnelle (faire « plus avec moins »). Par conséquent, la préparation plus rapide des missions et la mise en œuvre plus efficace des équipements sont devenus des impératifs pour maximiser leur usage.
Le besoin d’être plus agile pour intégrer des innovations
De nombreuses innovations technologiques, en particulier liées à la transformation digitale, ont vu le jour ces dernières années avec de forts impacts sur les changements d’usages. Elles se diffusent dans le monde militaire avec notamment l’emploi de technologies Commercial Off-The-Shelf (COTS) avec des applications duales civiles et militaires. Parmi ces technologies, on peut citer évidemment les drones qui offrent des avantages considérables en matière de surveillance, de reconnaissance et de frappes précises, mais aussi l’intégration de l’IA pour la surveillance et enfin le développement de moyens de communication plus résilients grâce à l’utilisation de constellations de satellites.
L’intégration de ces nouvelles technologies impose aux différents acteurs du secteur de la défense de faire preuve d’agilité. En effet, les forces armées doivent être capables, au-delà des grands programmes d’armement (Porte Avion Nouvelle Génération (PANG) …), d’intégrer rapidement ces nouvelles technologies. L’innovation ne peut donc plus être un processus lent et rigide, mais doit s’effectuer en boucle courte pour garantir une réponse rapide aux défis émergents.
Comment optimiser les actifs existants des forces armées ?
Avec une gestion en temps réel du parc d’équipements
La gestion en temps réel de la localisation et de l’état de fonctionnement des équipements est cruciale pour une planification opérationnelle efficace et une plus grande réactivité dans la prise de décisions.
Cependant, l’information pertinente est souvent dispersée entre plusieurs parties prenantes au sein des forces armées et chez les industriels, ce qui est un frein à la réactivité. La fusion de ces données, leur interfaçage en mode collaboratif et leur mise à disposition en temps réel sont essentielles pour une vision opérationnelle complète.
Pour répondre à ces besoins, des solutions technologiques concrètes sont en développement ou déjà en service :
- Les Clouds sécurisés : le stockage des données dans un cloud sécurisé permet un accès rapide et fiable aux informations. Cette technologie permet un travail collaboratif à distance, dans lequel tous les interlocuteurs peuvent échanger des données de manière sécurisée à travers le monde. La plateforme TrustNest R-Suite lancée par Thales, dont l’objectif est de permettre l’échange de données miliaires sensibles classées Diffusion Restreinte, en est un exemple.
- Les Datalakes communs : la consolidation de toutes les données pertinentes dans un support unique permet d’accéder facilement à une vision complète et en temps réel de la situation, favorisant ainsi la prise de décision éclairée.
- L’unification des plateformes digitales : Les opérateurs de défense gèrent souvent plusieurs plateformes digitales pour gérer leurs parcs d’équipement. Ils sont donc en demande d’unification des plateformes digitales ou d’établissement de « connecteurs » entre ces plateformes, tant du côté militaire que chez les industriels, pour assurer une communication fluide et une intégration optimale des systèmes. La Direction de la Maintenance Aéronautique du Ministère des Armées (DMAé) a récemment retenu Thales en 2022 sur le marché VASSCO pour piloter et coordonner, grâce à des outils digitaux, les activités d’une quinzaine d’acteurs industriels pour assurer les activités de soutien et de Maintien en Conditions Opérationnelles (MCO) sur plus de 700 systèmes complexes (radars de défense aérienne, centres de contrôles, …).
Avec la mise en place d’une maintenance prédictive
Pour optimiser l’utilisation des équipements, il est également essentiel de prédire leur capacité restante avant qu’ils ne tombent en panne ou ne nécessitent une maintenance. Cela exige un historique clair de l’usage qui en a été fait, un diagnostic de leur état de santé actuel et la capacité à anticiper l’impact d’une utilisation future sur leur durée de vie.
La capacité à modéliser et à prédire les événements futurs est donc un impératif qui nécessite des outils avancés d’analyse des données et de simulation. Les Health and Usage Monitoring Systems (HUMS) permettent d’assurer ce suivi et de déclencher les actions de maintenance adéquates.
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L’utilisation d’un jumeau numérique (« Digital Twin »), réplique digitale d’un équipement ou d’un système, permet, sur la base de données utilisée en temps réel, de simuler différents scénarios et de déclencher ces actions préventives.
Avec un nouveau modèle d’engagement basé sur la performance
Pour assurer les actions de maintenance et plus globalement certaines des activités dévolues historiquement à l’armée, on voit se développer des modèles de contractualisation où les industriels prennent à leur charge une partie de ces processus. Ces modèles sont le corollaire des « enablers » technologiques précédents.
Il s’agit pour les industriels de s’engager non pas sur des moyens mais sur des objectifs de résultats (% de disponibilité, …). On parle de contrats Performance-Based Logistics (PBL). Ce changement implique de nouveaux modèles économiques mais également de profondes mutations dans les habitudes de travail des militaires et des industriels : échange de données, utilisation d’analytics …
Ainsi, la plus grande disponibilité des équipements résultera d’une capacité à inventorier, prédire et développer de nouveaux modes de collaboration entre industriels et militaires.
Au-delà ce premier enjeu, il en existe un second qui concerne l’intégration rapide des innovations technologiques.
Comment intégrer plus rapidement les innovations technologiques ?
En développant une logique de co-création entre industriels et usagers finaux
Les industriels du secteur de la défense répondaient jusqu’à présent à une logique de conformité dans laquelle ils développaient des systèmes répondant à un cahier des charges précis émanant du donneur d’ordre militaire. Cependant, ce processus est insuffisant pour assurer une intégration rapide de technologies prometteuses ou pour favoriser la proactivité des industriels dans des environnements mouvants.
Le développement d’une logique de co-création entre industriels et usagers finaux grâce à des preuves de concept (POCs), permet de définir de nouveaux CONOPS et garantit que les solutions répondent aux besoins réels. Il faut ensuite passer à la diffusion à grande échelle des innovations : un défi complexe qui nécessite de nouveaux processus efficaces d’industrialisation des solutions, mais aussi un changement d’état d’esprit chez les industriels.
En développant davantage d’agilité grâce à des partenariats
Favoriser l’ouverture aux partenariats avec des startups, des acteurs du secteur civil et d’autres entreprises de technologie est essentiel pour s’inspirer des meilleures pratiques et dernières avancées.
Le changement de culture au sein des grandes entreprises industrielles de défense et au sein des forces est un défi majeur. Il nécessite une transition vers des pratiques plus agiles et plus ouvertes à l’innovation.
Pour relever ces défis, plusieurs solutions peuvent être envisagées :
- Mettre en place des démarches d’open innovation: l’ouverture aux idées et aux innovations provenant de l’extérieur est essentielle. Les démarches d’open innovation permettent de collaborer avec des acteurs externes, notamment des startups ou PME pouvant proposer des solutions innovantes.
- Adopter une logique de regroupement d’industriels : la collaboration entre différents industriels, notamment dans le cadre d’approches systèmes, permet de développer des solutions plus complètes et plus efficaces.
- Favoriser les liens entre startups et grands groupes : les partenariats entre startups et grandes entreprises offrent « le meilleur des deux mondes », combinant l’innovation disruptive des startups à la capacité d’industrialisation des grands groupes.
- Animer des « Living Labs » : ces structures réunissent toutes les parties prenantes dans des conditions proches de la réalité, favorisant ainsi la co-innovation et la validation des solutions dans un environnement opérationnel.
En continuant de structurer l’innovation au sein du Ministère des Armées
En 2018, la création de l’AID (agence de l’innovation défense), sous la responsabilité de la DGA, dont la mission est de détecter, d’expérimenter et de déployer des innovations pour répondre aux besoins des forces armées françaises, montre la volonté de la défense française d’adopter de nouvelles pratiques plus agiles.
Elle est notamment à l’origine d’initiatives vouées à fournir des solutions innovantes pour la défense. On y retrouve :
- La création de L’Innovation Defense Lab, dont l’objectif est de se saisir rapidement des opportunités existantes issues du civil et à fort potentiel.
- La création de Pôles d’innovation technique par la DGA servant de relais en région à l’AID, pour capter et accélérer l’innovation ouverte susceptible de bénéficier aux forces armées.
- La création d’un « Pôle d’innovation ligérien pour la mobilité terrestre » par la DGA, ayant pour objectif d’identifier le plus largement possible les innovations susceptibles de donner lieu à des applications dans le domaine de la défense.
- Le lancement d’un « Dronathlon » par la Marine nationale ouvert à tous types de structure (startups, PME, grands groupes, universités, …) dans le but d’identifier des solutions répondant aux besoins de leurs missions.
La récente création, le 1er août 2023, du Commandement du Combat Futur (CCF), dont la vocation est de développer les capacités d’innovation de l’Armée de Terre, est un autre exemple des mutations en cours au sein du Ministère des Armées et des Forces.
La politique de défense française et la BITD sont confrontées à des mutations majeures, résultant de nouvelles menaces et de l’évolution rapide de la technologie. Pour garder un avantage dans ce nouvel environnement, elles doivent adopter une approche agile, intégrer de nouvelles technologies et transformer les méthodes de travail et les « mindsets ».
Les deux enjeux que nous avons évoqués ne sont pas les seuls. Deux autres vont devoir être considérés à moyen terme. Premièrement : le développement durable. Si les acteurs travaillent déjà sur la réduction de leurs émissions carbone, ils doivent désormais considérer l’impact de l’environnement et du changement climatique sur leurs activités (nouvelles modalités d’engagement et nouveaux matériels plus résistants, nouveaux conflits). Deuxièmement, les nouvelles technologies low cost (parfois issues du monde civil). Celles-ci ont un impact fort sur les CONOPS*. L’utilisation d’essaims de drones ou d’autres moyens « saturants » les défenses conventionnelles ou l’emploi de drones suicides permettent à bas coût d’équilibrer les rapports de forces face à des armées aux moyens considérablement supérieurs. Se pose alors la question du « modèle économique » à envisager dans les futurs conflits lorsqu’il s’agit de faire face à des dispositifs low cost avec de l’armement vulnérable à plusieurs millions d’euros. Les défis sont donc encore nombreux !
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A propos de l’auteur,
Alexandre, Directeur de Business Unit de l’équipe Aéronautique Spatial Défense d’Alcimed en France