Organ-on-a-chip : renouveau in vitro des essais pré-cliniques ?
Dans le développement d’un médicament, l’essai pré-clinique est perçu comme une étape aussi incontournable que problématique, avec l’inconvénient majeur de susciter des controverses éthiques relatives au bien-être animal, sans pour autant garantir des résultats toujours pertinents pour les industriels. Si ce constat a longtemps paru indépassable, la nouvelle technologie de modélisation des organes, « Organ-on-a-chip », semble être aujourd’hui en passe de faire connaître un renouveau à cette étape clé. Alcimed, société de conseil en innovation et développement de nouveaux marchés, s’est intéressée aux tenants et aboutissants de cette micro-technologie aux macro-conséquences.
Une modélisation des organes du corps humain, ambitieuse et complexe
Lorsque des cellules du corps humain sont extraites pour être mises en culture, elles perdent inévitablement les propriétés inhérentes aux interactions avec leur milieu d’origine. De ce fait, il est souvent impossible d’induire des expériences réalisées sur des cellules en culture l’ensemble des comportements qu’elles auraient pu présenter au sein du corps humain. Pour pallier cette difficulté, l’idée s’est développée d’une architecture interconnectant différentes cultures cellulaires de manière à recréer leur environnement spécifique : l’organ-on-a-chip était né. Ce dernier se définit comme un circuit intégré de cultures cellulaires permettant de répliquer les fonctions, les mécanismes et les réponses physiologiques propres aux organes du corps humain. Du fait de ces qualités, l’organ-on-a-chip représente un intérêt majeur pour tous les secteurs rencontrant des difficultés dans leur besoin de réaliser des essais sur des êtres humains, qu’il s’agisse de risques sanitaires ou de questions de praticité.
Si la finalité du concept semble logiquement être la construction d’un « Human-on-a-chip », résultant de la mise en réseau des différents « Organs-on-chips », les acteurs de cette nouvelle technologie regardent déjà au-delà et espèrent arriver à un degré de personnalisation suffisant pour mériter le nom de « You-on-a-chip ». Avant que chaque personne puisse être dotée de sa copie in vitro, d’importants problèmes restent toutefois à résoudre. La conception d’« Organs-on-chips » nécessite en effet de comprendre finement les interactions complexes ayant lieu dans le corps humain et d’être ensuite capable de les modéliser. Cela fait du développement de cette technologie un vrai défi : elle se place à l’interface de nombreuses disciplines auxquelles elle demande simultanément de repousser leurs limites.
Un bouleversement très attendu des essais pré-cliniques
Le processus de découverte des médicaments est aujourd’hui devenu problématique : il est long, coûteux, et échoue bien plus souvent qu’il ne réussit. Si de nombreux facteurs sont avancés pour expliquer cet état de fait, l’un semble se dégager particulièrement : l‘essai pré-clinique. Les outils utilisés pour évaluer les effets des médicaments lors des essais pré-cliniques manquent d’efficacité et de précision et ne permettent pas, en général, d’anticiper la manière dont réagira le corps humain. Pour le moment, deux méthodes coexistent : la culture cellulaire classique et les tests sur les animaux. La première, négligeant les interactions des cellules avec leur milieu originel, peine à fournir des résultats probants. La seconde, si elle permet d’apprécier les réactions que peut présenter un organisme complexe, n’est souvent pas en mesure de prédire avec exactitude celles spécifiques au corps humain et soulève des questionnements éthiques majeurs.
L’organ-on-a-chip se positionne comme la nouvelle méthode promettant d’améliorer l’efficacité des essais pré-cliniques et, ce faisant, de révolutionner le processus de découverte des médicaments. En plus d’étudier directement la réponse dynamique de l’organe à un médicament, l’organ-on-a-chip rendrait également possible une segmentation par typologie de personne, auparavant inenvisageable. Cette segmentation permettrait, dès les essais pré-cliniques, d’analyser l’influence de variables comme l’âge, le sexe, ou la répartition géographique des personnes sur les effets des médicaments. Un tel travail serait réalisé à l’aide de machines, actuellement en développement, automatisant la conduite et l’analyse des essais. Il s’agirait donc d’essais plus rapides, plus fiables et donnant accès, dès ce stade, à une bien meilleure compréhension des médicaments.
Des réalisations qui suscitent des intérêts
Malgré une complexité de développement indéniable, de nombreuses réalisations concrètes démontrent que l’organ-on-a-chip est déjà une technologie suffisamment mature pour initier de réels progrès. Ainsi le cœur, les reins, les poumons ou le foie -parmi d’autres organes- ont pu être modélisés avec succès. De nombreux acteurs se sont lancés indépendamment dans ces réalisations, et certains ont su créer des partenariats qui témoignent de l’intérêt suscité par cette nouvelle technologie. L’entreprise Mimetas s’est, par exemple, engagée avec Janssen, Biogen et Abbvie pour le développement d’organs-on-chips neuro-vasculaires afin d’étudier la maladie d’Alzheimer, tandis que TissUse collabore avec Bayer dans le but de créer un multi-organs-on-chips foie-endocrinien pour évaluer la toxicité de certains médicaments. Enfin, l’entreprise pionnière du secteur, Emulate, a signé de nombreux partenariats autour de la technologie qu’elle promeut, impliquant notamment Roche, AstraZeneca et Takeda et est actuellement en discussion avec la FDA pour déterminer dans quelle mesure ses organs-on-chips pourraient être utilisés comme plateformes de test toxicologique. Outre ces entreprises pharmaceutiques, la technologie pourrait intéresser d’autres acteurs comme ceux de l’industrie agro-alimentaire, de l’industrie cosmétique et les fabricants de produits chimiques (par exemple ménagers) relativement à des tests de toxicité ou même intéresser certains acteurs du nucléaire désirant évaluer l’impact des radiations sur l’organisme.
« Outre les essais pré-cliniques, l’organ-on-a-chip se présente également comme un atout décisif pour la médecine personnalisée. La possibilité de se faire une idée de la manière dont un patient spécifique réagira à une thérapie donnée est une avancée majeure. » conclut Delphine Bertrem, Responsable de BU Santé à Paris.
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