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L’hydrogène pour la production d’acier, mythe ou réalité ?

Publié le 08 avril 2019 Lecture 25 min

Les propriétés énergétiques de la molécule d’hydrogène sont majoritairement connues de l’industrie automobile pour leur utilisation dans le cadre des piles à combustibles. Cependant, une application bien moins répandue mais tout aussi prometteuse repose dans l’utilisation d’hydrogène dans les process industriels et en particulier dans la sidérurgie, en remplacement de gaz naturel ou d’autres combustibles carbonés. Alcimed, société de conseil en innovation et développement de nouveaux marchés, étudie le potentiel de l’hydrogène dans l’industrie sidérurgique et fait le point sur les démarches industrielles actuelles allant dans ce sens.

L’efficacité énergétique des process de combustion à très haute température est un enjeu primordial pour un certain nombre de secteurs : métallurgie, cimenterie, papeterie, etc. Depuis la révolution industrielle, elles se sont tournées vers des carburants fossiles, dans un premier temps solides avec le charbon, avant que la part des combustibles liquides et gazeux n’augmente petit à petit avec le développement des gisements pétroliers et gaziers.

L’industrie sidérurgique mondiale est l’une des dernières grandes industries consommatrices de charbon. Bien que la part d’acier recyclable produit dans des aciéries électriques, augmente sensiblement d’année en année, elle reste minoritaire par rapport à la production d’acier à partir de minerais dans les hauts fourneaux dans lesquels l’utilisation de charbon est nécessaire d’un point de vue structurel. D’autres solutions alternatives se développent, comme la production de fer pré-réduit (plus connu sous le nom de DRI – Direct Reduced Iron) ne nécessitant pas de charbon. Aussi bien dans le cadre des hauts fourneaux que de la production de DRI, l’utilisation d’hydrogène en complément ou remplacement des combustibles classiques fait l’objet d’études et de projets pilotes.

L’hydrogène comme agent réducteur dans les hauts fourneaux sidérurgiques

La production d’acier est basée sur 2 réactions distinctes nécessitant un apport d’énergie sous forme de chaleur : la réduction du minerai (purification du fer en le séparant de ses atomes d’oxygène), et sa fusion (passage de l’état solide à l’état liquide).

Dans un haut fourneau, la réduction et la fusion du minerai sont réalisées successivement dans la même enceinte. La présence de charbon est essentielle d’un point de vue structurel et son oxydation est suffisante pour assurer la fusion du fer purifié. Cette réaction de fusion produit des gaz (Monoxyde de Carbone CO et Hydrogène H2), qui remontent à l’intérieur du fourneau pour agir en amont du process sur les minerais afin de les réduire. Dans un haut fourneau, l’hydrogène présente donc uniquement un potentiel pour la réduction du minerai. Il est présent sous forme de gaz chaud, mais jamais brûlé en tant que tel. Dû à sa présence naturelle dans l’enceinte, l’utilisation d’hydrogène en tant qu’agent réducteur dans les hauts fourneaux est déjà bien connue des industriels. L’injection forcée d’hydrogène supplémentaire dans l’enceinte fait également l’objet d’études complémentaires, montrant ainsi l’intérêt que peuvent avoir les industriels pour cet usage.

Plusieurs programmes de recherche, tels que le projet européen ULCOS ou le projet de recherche japonais COURSE 50 ont été axés sur l’amélioration des performances des hauts fourneaux pour la réduction des émissions de CO2. Dans le cadre de ces programmes, des configurations alternatives de haut fourneau ont été développées pour collecter, traiter et réutiliser leurs gaz d’échappement comme agents réducteurs dans le processus. L’utilisation d’hydrogène dans ces hauts fourneaux est notamment étudiée à titre de recherche, montrant un intérêt grandissant pour le sujet, mais encore peu de démarches industrielles sont recensées allant dans ce sens.


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La production de DRI : une application à fort potentiel

Contrairement au haut fourneau, la production de DRI consiste en la simple réduction du métal. Cette opération nécessite uniquement l’utilisation de gaz réducteurs chauds, comme le monoxyde de carbone, l’hydrogène, ou un mélange des deux.  Durant les 40 dernières années, le faible prix du gaz naturel a favorisé la production de DRI, qui a augmenté plus rapidement que celle de l’acier.

Plus spécifiquement, l’utilisation d’hydrogène pour la production de DRI est étudiée dans le cadre de nombreuses démarches industrielles. L’entreprise américaine MIDREX, qui produit près de 60% du DRI mondial chaque année, utilise un process à base de syngas, un mélange de monoxyde de carbone et d’hydrogène. Cependant, ce syngas est produit par reformage de gaz naturel. Au contraire, l’entreprise autrichienne Voestalpine, qui produit également du fer pré-réduit à partir de syngas, a obtenu l’autorisation de construire la plus grande usine mondiale de production d’hydrogène vert à Linz, Autriche. Cette installation d’électrolyse permettra de produire de l’hydrogène décarboné, uniquement à partir d’eau et d’électricité d’origine renouvelable.

Enfin, la société suédoise Hybrit est probablement celle qui va le plus loin dans le développement de la filière hydrogène pour la production de DRI. En effet, Hybrit mène actuellement un projet pilote uniquement avec de l’hydrogène comme gaz réducteur. Cette phase pilote s’achèvera en 2025 avant le lancement d’essais sur des installations de démonstration entre 2025 et 2035. Selon Hybrit, l’usine à l’échelle industrielle nécessitera un système d’électrolyse de 1 GW.

Jakub Rams, manager au sein de la Business Unit Energie, Environnement et Mobilité chez Alcimed, nuance toutefois : « L’argument technique et écologique de l’hydrogène ne peut suffire face à l’aspect économique, déterminant pour les industriels ; son coût, même en incluant l’impact des taxes carbone, est encore loin de rendre la molécule compétitive. »

Production et transport comme autant de contraintes techniques et économiques à dépasser

Deux scénarios de production sont actuellement envisageables : une production centralisée par des producteurs et fournisseurs d’énergie, ou décentralisée, par les usines sidérurgiques elles-mêmes. Dans les deux cas, leur mise en place nécessite le développement de voies viables de production et/ou de transport, d’un point de vue technique, économique et écologique.

Actuellement, 96% de l’hydrogène industriel est produit à partir de sources fossiles (gaz naturel, pétrole, charbon, etc.). Seuls 4% de la production sont réalisés par électrolyse, donc une infime partie de l’hydrogène produit au niveau mondial est non carboné, selon que l’électricité utilisée est produite à partir d’une source renouvelable ou non. L’intérêt de l’hydrogène industriel étant de décarboner l’activité, l’origine de sa production est l’enjeu primordial. L’implémentation d’une installation d’électrolyse à taille industrielle représente actuellement un investissement considérable, supérieur au milliard d’euro pour une installation de 200MW. L’essor des énergies renouvelables, et la recherche de solutions de stockage pour le surplus d’électricité produit par ces sources, est moteur pour le développement de solutions d’électrolyse pour la production d’hydrogène.

Par ailleurs, il n’existe pas encore de réseau de transport d’hydrogène au même titre qu’il existe aujourd’hui un réseau de gaz naturel. Ceci représente une contrainte majeure pour les industries sidérurgiques n’ayant pas la possibilité de produire elles-mêmes leur hydrogène décarboné.

 Cependant, d’un point de vue technique, le développement d’un réseau de transport d’hydrogène n’est pas une utopie. A titre d’exemple, le projet GRHYD, coordonné par ENGIE dans la communauté urbaine de Dunkerque, consiste à transformer en hydrogène le surplus d’électricité produit par des éoliennes ou panneaux solaires et à l’injecter dans le réseau de gaz naturel à des teneurs variables entre 0% et 20%. Ce projet, débuté en juin 2018 pour une durée de 2 ans, permettra aux chercheurs d’estimer les rendements sur le long terme des électrolyseurs, d’affiner les techniques d’injection sur le réseau, et d’analyser le comportement des chaudières et moteurs de bus.

Jakub Rams précise, « le développement de solutions de production et de transport viables d’un point de vue économique et écologique sont les premières étapes du développement d’une filière globale de l’hydrogène pour l’industrie au sens large. La métallurgie, la briqueterie, la verrerie ou encore la cimenterie sont autant d’industries qui mènent actuellement des réflexions sur la nature des combustibles qu’ils utilisent et parmi lesquels l’hydrogène pourrait un jour représenter une alternative.»

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