Innovations en Afrique : les solutions pour un monitoring de précision des cas de COVID-19
Le monde est lentement en train de comprendre les raisons de la plus grande crise sanitaire du 21ème siècle jusqu’à présent. Pourtant, des études sur le nombre de cas précis de COVID-19 en Afrique restent rares. En effet, ces pays ont partagé des données fragmentées, parfois incomplètes, sous-évaluant l’étendue de la pandémie, ce qui continue de mener à l’apparition de nouveaux clusters. Rappelons qu’en Afrique, la population dépasse 1, 216 milliards de personnes, soit 16,7% de la population mondiale, ce qui est supérieur à la population des Etats-Unis et de l’Europe réunies. Pourtant, l’épidémiologie précise permettant de guider la politique humanitaire et économique tarde à se mettre en place. Alcimed explore dans cet article comment l’innovation en Afrique pourrait fournir de meilleures données et solutions à cette pandémie sur le continent.
Pourquoi les pays africains reportent moins de cas de COVID-19 par rapport aux pays européens, asiatiques et américains ?
C’est en Egypte, le 14 février 2020, que le premier cas de COVID-19 en Afrique a été répertorié. Depuis, c’est plus de 508 000 cas et 11 955 décès qui ont été signalés parmi les 54 pays africains représentés à l’ONU [1]. Ces chiffres représentent une très faible fraction du nombre total de cas répertoriés dans le monde (4, 3%) et de décès (2,2%). Il est alors important de comprendre pourquoi 16,7% de la population mondiale ne représente que 4,3% des cas. Pour expliquer une telle différence, nous avons utilisé les données publiques couplés à une recherche dans la littérature pour extrapoler une ligne de tendance (voir notre graphique interactif ci-dessous).
Cet exercice montre des résultats surprenants, avec une ligne de tendance africaine au-dessus de la ligne asiatique, tout en étant supérieure aux pays européens et océaniens. Cela suggère que les cas africains pourraient avoir été sous-estimés, et que davantage de tests auraient montré un nombre de cas beaucoup plus élevé. Dans l’ensemble, nous avons donc challengé ces résultats, qui peuvent être expliqués grâce à deux facteurs principaux :
Facteur 1 : La faible disponibilité des tests
Comme l’a souligné John Nkengasong, responsable du CDC Afrique, « l’effondrement de la coopération mondiale et un échec de la solidarité internationale ont poussé l’Afrique hors du marché du diagnostic » même s’ils sont « habitués à des tests généralisés de pathogènes tels que le VIH » [2]. Par conséquent, le CDC africain a développé des directives pour des tests ciblés se concentrant sur les patients à forte suspicion de COVID-19, ce qui pourrait expliquer en partie pourquoi certains pays comme le Nigeria ont un pourcentage élevé de tests positifs (18%), tout en ayant un très faible nombre de tests effectués pour mille habitants (0,72 / 1000 vs. une moyenne mondiale de 58/1000), abaissant artificiellement le nombre officiel de cas. Néanmoins, il est intéressant de noter que certains pays, comme le Rwanda, ont un pourcentage de test positif faible (moins de 1%), ce qui suggère que le COVID-19 a une pénétration plus faible dans ces pays.
Dans tous les cas, ce facteur souligne trois limites de notre représentation :
– La première limite est que plusieurs pays africains n’ont pas communiqué de données à jour et ne sont pas donc pas inclus dans notre représentation.
– La seconde limite est l’instauration d’un « biais positif » du à la sélection de patients à forte suspicion de COVID-19 par ces pays africains à cause d’une disponibilité de tests plus faible. Cela a augmenté la pente de la ligne de tendance, qui pourrait donc être inférieure à ce qu’elle semble être.
– La troisième limite est le choix de ne pas pondérer ces résultats par la taille de ces pays, afin de pouvoir apprécier l’état réel de chaque état, tout diminuant légèrement la précision des lignes de tendances.
En tenant compte de ces limites, ces lignes de tendance fournissent quand même des indices solides sur la situation réelle du COVID-19 en Afrique et sur ce qu’un nombre de tests plus élevé aurait pu démontrer, soit un niveau de personnes contaminées potentiellement compris entre celui de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
Facteur 2 : Une meilleure réponse de la part du consortium africain
Le nombre plus faible de cas reporté peut également s’expliquer grâce à l’histoire et à l’expérience des gouvernements africains. La population africaine a été plus réactive face au COVID-19, comme l’a souligné Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé. Il a ainsi déclaré que « les pays africains ont acquis une grande expérience dans la lutte contre les maladies infectieuses comme la polio, la rougeole, le virus Ebola, la fièvre jaune, la grippe et bien d’autres » [3]. Par conséquent, l’Union Africaine, sous la présidence du président Ramaphosa de l’Afrique du Sud, a rapidement mis en place des mesures de contrôle efficaces. De plus, plusieurs pays africains ont eu une réponse individuelle exceptionnelle contre le COVID-19. Par exemple, le Maroc est passé d’un manque d’approvisionnement en masques chirurgicaux à l’exportation de 50% de sa production, tout en fournissant à sa population des masques à 7 cts € l’unité [4]
La réponse de l’industrie nationale marocaine, à l’initiative du gouvernement, a fixé de nouvelles normes mondiales pouvant être prises en exemple par d’autres pays. Ces solutions gouvernementales se sont avérées efficaces, expliquant également pourquoi la ligne de tendance africaine est inférieure à son homologue américaine et du Moyen-Orient.
Que pourrait-on faire pour améliorer l’estimation des cas de COVID-19 africains ?
Sur la base des données collectées, nous suggérons une approche combinée de trois méthodes :
1. Améliorer la méthode analytique
En utilisant la projection et la ligne de tendance des cas signalés (voir notre graphique interactif plus haut) et en les consolidant avec la surmortalité, définie par Checchi, F., & Roberts, comme « le nombre des décès survenus dans une crise donnée au-delà de ce que nous nous attendions à voir dans des conditions « normales » [5]. En effet, nous pourrions supposer que la majeure partie de la surmortalité dans ces pays est due à la pandémie de COVID-19. Telle que définie, cette méthode pourrait contribuer à réduire l’incertitude lors de la projection du nombre réel de personnes africaines infectées et du nombre réel de décès survenus dans ces pays. Cela aiderait à adapter la direction que les gouvernements et les industries doivent prendre.
2. Accélérer le nombre de tests effectués
L’accélération du nombre de tests doit être réalisée en abaissant le prix et en améliorant l’offre de kits de tests disponibles. Une initiative comme celle des chercheurs de DiaTropix, un laboratoire de maladies infectieuses dirigé par l’Institut Pasteur de Dakar-Sénégal, visant à faire baisser le prix des tests à 1$ (~0,88€) chacun (contre 50 € en France par exemple) devrait être encouragée. Ce projet, réalisé main dans la main avec la société britannique Mologic, a récemment été certifié CE le 3 juin grâce à une sensibilité de 96% et une spécificité de 98,8% [6]. Ce triple test d’anticorps, qui recherche la présence d’anticorps IgA, IgM et IgG covid19 en 10 minutes, prouve que l’expérience de l’Afrique avec les maladies infectieuses, comme Ebola, est un réel atout pour trouver des solutions efficaces et abordables.
3. Soutenir le travail des coalitions africaines
Les coalitions devraient être encouragées, comme celle du CDC africain qui a lancé une initiative appelée « Partenariat pour accélérer les tests COVID-19 » (PACT). À ce jour, leur objectif est d’atteindre 10 millions de tests en quatre mois, mais le continent est encore loin de son objectif, avec seulement 1,8 million de personnes testées au 26 mai [7]. Aider une telle initiative devrait être une priorité et devrait se faire grâce à la collaboration internationale et au partage des connaissances pour accélérer un tel processus. Entre-temps, cette coalition a lancé plusieurs initiatives, comme « TEST, TRACE et TREAT », visant à faciliter le travail des pays africains en créant des partenariats et des protocoles à suivre.
Dans l’ensemble, il est important de noter que le nombre de cas africains de COVID-19 ont sans aucun doute été sous-estimés et conduisent à de nouveaux clusters qui pourraient compromettre les efforts consentis. Tout plan doit alors s’assurer que la réponse est la hauteur du défi, en prenant en compte les cas « non signalés ». Sur le long terme, d’autres questions seront soulevées et l’impact économique devra être abordé plus en profondeur pour assurer la stabilité et la prospérité de la région.
Le monde pourrait avoir beaucoup à apprendre de la gestion africaine face à la crise COVID-19, l’expérience du continent s’étant avérée utile pendant cette crise, mettant en œuvre des solutions très rapidement à un prix bien inférieur à ce qui est disponible ailleurs. Les pays africains ont fait preuve d’ingéniosité avec les outils disponibles et ont relevé le défi. D’autres régions du monde pourraient alors s’appuyer sur ces connaissances et collaborer plus étroitement avec les pays africains afin d’éviter de nouveaux pics de contamination, soutenir une reprise économique rapide et anticiper certaines réponses à toute pandémie future.
A propos de l’auteur
Hichame, Consultant dans l’équipe Santé d’Alcimed aux Etats-Unis
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[1] https://africacdc.org/covid-19/
[2] https://www.nature.com/articles/d41586-020-01265-0
[3] who.int/dg/speeches/detail/who-director-general-s-opening-remarks-at-the-media-briefing-on-covid-19—25-may-2020
[4] https://www.bfmtv.com/economie/coronavirus-comment-le-maroc-a-mobilise-son-industrie-pour-produire-7-millions-de-masques-par-jour-1900578.html
[5] https://odihpn.org/resources/interpreting-and-using-mortality-data-in-humanitarian-emergencies/
[6] https://mologic.co.uk/mologic-ce-marks-professional-use-rapid-diagnostic-test-for-covid-19-and-begins-manufacture/
[7] https://www.economist.com/graphic-detail/2020/05/26/why-africa-struggles-to-test-for-covid-19