Qu’est-ce que le dépistage génétique du cancer et pourquoi est-il essentiel ?
L’étude des mutations génétiques a permis l’identification de nouveaux marqueurs en oncologie, aujourd’hui essentiels pour le diagnostic, la classification et le choix du traitement de plusieurs cancers. La découverte de ces altérations a ouvert la voie à l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques et donc au développement de thérapies plus ciblées.
Pour accéder à cette médecine de précision, les patients doivent nécessairement passer par un dépistage génétique. Deux situations peuvent être rencontrées pour identifier les mutations en cause, en fonction du type et du stade du cancer :
- Dans un premier cas, le test est prescrit par l’onco-généticien si le patient présente des antécédents familiaux ou un type de cancer rare. Cette prescription sert avant tout à caractériser les risques et intervient assez tôt, parfois même avant que le diagnostic de cancer ne soit posé. On parle de génétique constitutionnelle, la mutation concerne toutes les cellules du patient.
- Dans le second cas, le test sera prescrit à un patient pour orienter la stratégie thérapeutique. En effet, si lors de la réunion de comité pluridisciplinaire, le patient est éligible à une thérapie ciblée, il se verra prescrire un test moléculaire qui se fera directement sur la tumeur. On parle alors de génétique somatique, la mutation est uniquement identifiée sur la tumeur du patient pour permettre l’accès à une thérapie ciblée. On peut citer l’exemple du traitement Neratinib® dans le cancer du sein qui est conditionné par la recherche d’amplification du gène HER2.
Depuis quelques années, les tests moléculaires connaissent une importante croissance. En 2020, 346 000 tests déterminant l’accès à une thérapie ciblée ont été réalisés pour 142 000 patients en France. En 2015, ils étaient seulement 75 000 patients à en bénéficier.
Comment s’organise le dépistage génétique du cancer en France ?
Une organisation qui devrait garantir un accès équitable aux tests…
L’élargissement de l’accès aux tests somatiques a été favorisé par la création de 28 plateformes de génétique moléculaire, soutenues par l’INCA et la DGOS. Ces plateformes constituent un réseau couvrant l’ensemble du territoire français et regroupant 117 laboratoires, qui peuvent être rattachés à différents établissements de santé. L’objectif est que tous les patients éligibles, quel que soit le type d’établissement les prenant en charge, aient un accès équitable aux tests.
…mais qui se heurte souvent aux limitations structurelles et territoriales
Malgré la structuration récente du réseau de dépistage, certaines difficultés subsistent en pratique. D’abord, la prescription, la réalisation et l’interprétation des tests impliquent une multitude d’acteurs d’établissements parfois différents, ce qui peut complexifier la coordination et allonger les délais.
Le choix des tests réalisés va également avoir une influence sur ces délais car les techniques sont multiples. Par exemple, une plateforme utilisant le séquençage haut débit (NGS) pourra réaliser plusieurs séquençages en parallèle et aller plus vite qu’une plateforme utilisant l’immunohistochimie ou l’hybridation in situ.
Au-delà de la complexité du parcours, il existe des disparités régionales d’accès aux soins selon une étude sur le recours aux tests dans le cancer du poumon qui démontre un coefficient de variation de 3,2 entre les départements. Cette inégalité d’accès aux tests est corrélée au nombre de médecins généralistes et radiothérapeutes du département et inversement au nombre de chirurgiens. Un taux de recours faible aux tests est lui associé au niveau de pauvreté des départements.
3 enjeux actuels du dépistage génétique du cancer en France
Pour faire face à ces défis et garantir un accès optimal aux thérapies ciblées actuelles et futures, 3 enjeux sont à prendre en compte :
Enjeu n°1 : assurer le remboursement des tests
Les tests moléculaires en oncologie ne sont aujourd’hui pas remboursés en totalité ce qui met en difficulté certains établissements prescripteurs.
En effet, les tests sont inclus dans le référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN), une enveloppe fermée destinée au remboursement des actes innovants en biologie. Initialement, le RIHN devait être une étape temporaire, le temps que l’HAS évalue l’acte pour un remboursement par la CPAM. Dans la réalité, peu de tests sortent de l’enveloppe tandis que de nouveaux y entrent ce qui entraine une diminution du taux de prise en charge par test. Actuellement, le RIHN rembourse environ 50% du coût du test et ce, avec 1 an de décalage.
Ce reste à charge et ce délai pour le remboursement représentent de véritables freins à la prescription de ces tests par certains établissements qui n’ont pas les ressources financières suffisantes. Des réflexions sont en cours à la DGOS pour intégrer à la nomenclature certains actes. Mais il faudra un certain temps pour évaluer tous ces actes et rattraper le retard accumulé. De plus, le nombre de tests moléculaires va continuer d’augmenter dans les années à venir. Il existe aujourd’hui 111 combinaisons traitement-biomarqueur-indication. Il faudrait 375 000 recherches de biomarqueurs auprès de 205 000 patients pour respecter les recommandations et prochainement, 269 nouvelles combinaisons pourraient être évaluées au regard des recommandations internationales.
Enjeu n°2 : développer les capacités et les ressources des plateformes
L’augmentation constatée des tests moléculaires ces dernières années découle de plusieurs facteurs dont le vieillissement de la population, la diversification des thérapies ciblées et l’identification constante de nouveaux biomarqueurs liés aux cancers. Mais les ressources humaines et matérielles des plateformes sont aujourd’hui limitées pour répondre à la demande future. Toutes les plateformes ne sont pas équipées pour fournir tous les tests moléculaires, ce qui peut également limiter les prescriptions dans certains territoires.
Pour s’adapter à cette évolution, les plateformes françaises ont entrepris une transition vers les techniques de séquençage de nouvelle génération (NGS). Cette technique permet une analyse simultanée d’un grand nombre de gènes. Pourtant, la France accuse aujourd’hui en médecine génomique, un retard sensible face à d’autres pays comme l’Angleterre ou les Etats-Unis qui disposent d’infrastructures nationales capables de réaliser des dizaines de milliers d’analyses annuelles. Le plan médecine génomique 2025 prévoit d’importants investissements, de l’ordre de 200 à 300 millions d’euros, dans ces infrastructures pour répondre à ce retard en termes de capacité.
Enfin, les prescripteurs ont une liberté totale dans le choix des laboratoires pour la réalisation des tests, ce qui permet l’émergence d’une offre complémentaire par les laboratoires privés. Dans le cancer colorectal par exemple, l’existence de tests rapides et automatisés ne nécessitant pas le recours au NGS, favorise leurs réalisations par des laboratoires privés. Le développement d’autres tests de ce type pourrait éviter l’engorgement futur des plateformes de tests moléculaires.
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Enjeu n°3 : coordonner les acteurs concernés
La coordination entre biologistes moléculaires, pathologistes et cliniciens est également cruciale pour s’adapter aux nouveaux traitements et protocoles qui émergent sur le marché, d’autant plus que ces acteurs exercent souvent dans des établissements éloignés géographiquement. Fluidifier la collaboration multidisciplinaire est impératif pour assurer une prise en charge des patients rapide et efficiente.
Actuellement, le délai d’obtention moyen des résultats depuis une plateforme de génétique moléculaire est de 2 à 3 semaines après prescription. A ces délais s’ajoutent dans certaines régions, plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous chez l’onco-généticien.
Des initiatives concrètes pour favoriser le partage d’informations inter-établissements sont observées au sein d’établissements de santé régionaux. Par exemple, le centre Léon Bernard et info-logic santé ont mis en place ArianeRX, un outil adapté à la multiplication et l’automatisation des analyses, qui permet de mettre en commun les résultats tissulaires, moléculaires et les données cliniques du patient. Également, à l’initiative de l’ARS Centre-Val de Loire, les CHU de Tours et de Chartres collaborent pour construire une offre de consultation oncogénétique en Eure-et-Loir. Cette offre vise à faciliter la collaboration pluridisciplinaire, indispensable au bon fonctionnement de la consultation et améliorer le maillage de l’offre d’oncogénétique au niveau local.
Ces exemples illustrent à quel point la coopération inter-institutionnelle est essentielle aujourd’hui pour améliorer la prise en charge du cancer sur les territoires.
Avec l’essor des thérapies ciblées en oncologie et la nécessité d’identifier des mutations pour leur prescription, les laboratoires pharmaceutiques doivent s’assurer que les centres sont en capacité de prescrire, analyser et suivre les patients dans leur parcours de dépistage génétique. Mais il existe aujourd’hui plusieurs points bloquants à anticiper comme le financement, les capacités des plateformes ou la coordination pluridisciplinaire pour faire face à l’augmentation de la prescription de ces tests.
La compréhension du rôle de l’ensemble des acteurs, l’organisation de l’écosystème ainsi que l’identification de potentiels leviers sont autant de points sur lesquels Alcimed peut vous accompagner. Vous souhaitez adresser ce sujet ? N’hésitez pas à contacter notre équipe.
A propos des auteurs,
Céline, Responsable de mission au sein de l’équipe Santé d’Alcimed en France
Medine, Consultante au sein de l’équipe Santé d’Alcimed en France