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Le confinement en laboratoire : comment s’organise la recherche sur les agents pathogènes à haut risque ?

Publié le 03 juillet 2024 Lecture 25 min

De nombreuses épidémies animales et humaines sont apparues ces dernières années avec une forte recrudescence des maladies infectieuses de type zoonose. Afin d’étudier les différents agents biologiques responsables de ces maladies plus ou moins graves et plus ou moins épidémiques, des laboratoires particuliers appelés « laboratoires confinés » existent et des règles de manipulation sont mises en place avec des dispositions spécifiques pour chaque type de pathogène. Dans cet article, Alcimed analyse les défis auxquels sont confrontés ces laboratoires confinés.

Que sont les agents pathogènes ?

Les agents pathogènes sont des organismes microscopiques qui causent ou ont le potentiel de provoquer des maladies. Parmi eux, on retrouve des bactéries, des virus, des parasites, des champignons ou des prions. En France, ces agents biologiques sont définis par l’article R. 4421-2 du Code du travail comme étant des microorganismes génétiquement modifiés ou non, des cultures cellulaires et des endoparasites humains susceptibles de provoquer une infection, une allergie ou une intoxication.

Quels sont les 4 types d’agents pathogènes ?

Ces agents sont classés en quatre groupes en fonction de quatre critères permettant de juger de la gravité du risque d’infection qu’ils représentent pour l’homme (cf. tableau ci-dessous). Les agents de groupes 2,3 et 4 sont considérés comme pathogènes. A titre d’exemple, parmi le groupe 2, on retrouve les virus de l’herpès humain ou de l’hépatite A. Parmi le groupe 3, les hépatites B, D et E, et parmi le groupe 4 les virus Ebola, Hendra ou Nipah.

NATURE DU RISQUE

GROUPE 1

GROUPE 2GROUPE 3

GROUPE 4

Susceptible de provoquer une maladie chez l’homme

Non

OuiGrave

Grave

Constitue un danger pour les travailleurs

OuiSérieux

Sérieux

Propagation dans la collectivité

Peu probablePossible

Risque élevé

Existence d’une prophylaxie ou d’un traitement efficace

Généralement
oui
Généralement
oui

Généralement
non

Un lien indéniable entre la santé humaine et la santé animale

L’émergence de nombreuses épidémies animales et humaines

Parmi ces pathogènes responsables de maladies, il est reconnu qu’au moins 60% des maladies humaines infectieuses ont une origine animale. De plus, plus de 30 nouveaux agents pathogènes humains ont été détectés au cours des 30 dernières années, dont 75% sont d’origine animale1https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/one-health#:~:text=Environ%2060%20%25%20des%20maladies%20infectieuses,%25%20sont%20d%27origine%20animale.. Ces maladies sont appelées zoonoses et il en existe plus de 200 types telles que le SARS-Covid 19, le virus de la grippe aviaire, le virus du Zika et le virus Ebola.

Ainsi, de nombreuses épidémies animales et humaines sont apparues ces dernières années avec une forte recrudescence des maladies infectieuses de type zoonose. Il est de plus en plus clair que les organismes vivants et les écosystèmes sont interconnectés et que la santé des uns dépend de celle des autres.

Cette prise de conscience des liens étroits entre la santé humaine, celle des animaux et l’état écologique global a donné naissance, au début des années 2000 au concept de « One Health » ou « Une seule santé ».


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L’activité humaine, principale cause de la recrudescence des maladies d’origine animale

Cette recrudescence de maladies infectieuses d’origine animale est intrinsèquement reliée aux activités humaines et au réchauffement climatique : par exemple, lorsque l’on soigne les animaux d’élevage avec des antibotiques, des résistances peuvent apparaître au sein du microbiote animal, mais aussi dans l’environnement ou encore dans notre microbiote humain.

Aussi, la dégradation de l’environnement, la déforestation et le développement des villes ont favorisé le contact entre les animaux sauvages, les animaux d’élevage et l’être humain, ce qui a participé à accroitre la transmission des maladies. Quant au changement climatique, il est responsable principalement de l’adaptation d’animaux vecteurs de pathogènes à de nouvelles zones géographiques et donc une croissance du spectre géographique des maladies vectorielles (comme la dengue, portée par les moustiques).

L’approche « One Health », ou la nécessité d’une réponse holistique aux enjeux sanitaires

Ainsi, la nécessité de décloisonner les approches sanitaires s’est fait sentir et il s’agit aujourd’hui de penser la santé à l’interface entre celle des animaux, de l’homme et de leur environnement, à l’échelle locale, nationale et mondiale, par une approche globale des enjeux sanitaires.

Cette approche « One health » a donc fait l’objet d’un accord tripartite signé en 2010 entre l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), afin de promouvoir des programmes et des projets One Heath dans le monde.

Le rôle essentiel des laboratoires confinés pour la sécurité sanitaire

Quels sont les différents types de laboratoires confinés ?

Ces structures sont appelées, à l’échelle internationale, des laboratoires de « Bio Security Level 2, 3 ou 4 » (BSL-2, BSL-3, BSL-4) en fonction du degré de confinement qu’exige la réglementation de bio sécurité. Un laboratoire BSL-2 ne pourra pas accueillir d’expérimentations sur des pathogènes du groupe 3 alors qu’un laboratoire réglementé BSL-3 ou BSL-4 le pourra. En France ces laboratoires sont appelés P3 ou P4 ou encore « de haut confinement ».

Ces laboratoires sont, en général, détenus par des Instituts de Recherche Publique, et sont essentiels pour soutenir les gouvernements dans la surveillance, la compréhension et le développement de traitement pour les maladies infectieuses et dans la gestion des crises épidémiques causées par ce type d’agents pathogènes.

Comment fonctionnent les laboratoires confinés ?

Ces structures sont sécurisées à l’aide de technologies de pointe empêchant la propagation d’agents pathogènes dangereux dans l’environnement : une construction étanche de l’ensemble du bâtiment empêche les agents biologiques de s’échapper ; l’air du laboratoire est légèrement soumis à une pression négative de sorte que le flux d’air est toujours vers le bâtiment ; l’air sortant du bâtiment est filtré pour le décontaminer et tous les déchets sortants sont stérilisés. En France, ces mesures de sécurité sont fixées par l’arrêté du 16 juillet 2007, définissant les mesures techniques de prévention, dont le confinement, dans tous les espaces où les travailleurs sont susceptibles d’être exposés à des agents pathogènes.

A l’intérieur de leurs murs, ces structures abritent des installations nécessaires à l’étude de la pathogénicité des agents : des installations de microbiologie, d’immunologie, et de pathologie ; 3 activités essentielles pour l’étude des maladies infectieuses. De plus, des animaleries sont souvent incluses dans l’unité afin d’assurer une possibilité de recherche in vivo. Cette organisation permet une recherche multidisciplinaire sur ces pathogènes dans un même environnement confiné.

Exemples de laboratoires confinés en France et en Europe

Souvent, les Instituts qui les hébergent possèdent un large panel de missions dont une de recherche en infectiologie comme l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement – l’INRAE – ou la Coopération Internationale en Recherche Agronomique – le CIRAD – en France. En effet, pour répondre à la crise de la vache folle en 2008, une Plateforme d’Infectiologie Expérimentale – PFIE – a été construite à l’INRAE pour pouvoir étudier le pathogène responsable : le prion, et ce, sur les bovins. Cette plateforme est ainsi toujours en activité aujourd’hui et permet de continuer d’étudier les maladies infectieuses des animaux de rente.

En Europe, 4 Instituts publics possédent  des laboratoires de niveau de confinement BSL-3 de grande taille: le Wageningen Bioveterinary Research Institute aux Pays bas, le Friedrich-Loeffler Institute en Allemagne, le Animal Health Research Center – CReSA – en Espagne et le Pirbright Institute en Angleterre. Tous ces instituts ont un rôle non seulement de recherche sur les pathogènes infectieux mais aussi et surtout de surveillance des « maladies émergentes » et d’appui aux politiques publiques en cas de crise sanitaire.

3 enjeux des laboratoires (BSL-3 et plus) qui restent à relever pour une meilleure gestion de la recherche en milieu confiné

Enjeu n°1 : recenser les plateformes existantes pour une meilleure coordination

Il n’existe pas de transparence quant à l’existence de ces laboratoires dans le monde. Les laboratoires ne sont répertoriés nulle part et très peu d’initiatives existent à ces fins. Cependant, après la crise du COVID-19, l’intérêt public pour ce type de structure a grandi.

C’est ainsi que s’est créée Global BioLabs, une initiative lancée en mai 2021 afin de fournir une cartographie détaillée des laboratoires BSL-4 dans le monde, de leurs politiques et de leurs pratiques pour assurer une recherche sécurisée et responsable sur les agents pathogènes. Le COVID-19 a déclenché un boom dans la construction des structures BSL-4 : on en dénombrait 59 en 2021, on en compte désormais 69 en 2023.

Par la suite, Global BioLabs a aussi tenté de répertorier les laboratoires BSL-3. Dans un rapport publié en 2023, ils en ont recensé 57 dont la majorité est située en Europe2https://www.kcl.ac.uk/warstudies/assets/global-biolabs-report-2023.pdf. Ces laboratoires BSL-3 sont à 40% des laboratoires de santé publique gérés par le gouvernement, à 49% des laboratoires de recherche universitaire, et pour le reste, ils sont soit des propriétés privées soit des laboratoires de .

Ils précisent que cette liste est non exhaustive car, en réalité il existe des milliers de laboratoires BSL-3 dans le monde. En France, il n’y a pas non plus de cartographie précise des laboratoires P3 alors que ceci serait nécessaire pour une meilleure gestion de ces structures et de leurs recherches associées.

Global BioLabs a aussi établi un classement des pays selon des critères de « biosafety » et de « biosecurity ». La « biosafety » regroupe toutes les mesures de confinement mises en place pour empêcher le rejet accidentel ou l’exposition non intentionnelle à des agents biologiques et la « biosecurity » est la prévention d’un accès non autorisé, du mésusage, du détournement ou du rejet intentionnel des agents pathogènes. La France se place ainsi en 3ème position en terme de biosafety derrière l’Australie et le Canada et est première en .

Enjeu n°2 : développer les ressources nécessaires au maintien de ces structures

Par leur complexité technique, ces plateformes requièrent un premier investissement de grande ampleur (de l’ordre de 200 millions d’euros pour le Pirbright Institute en Angleterre) puis un coût de maintien quasiment aussi important. Il s’agit généralement de budgets régionaux, nationaux ou européens, accordés dans le but de pouvoir assurer la souveraineté sanitaire du pays. Mais nombreuses sont les structures qui, pour assurer leur autonomie financière, commencent à se réinventer en s’associant avec un acteur privé afin d’augmenter le volume de projets réalisés et donc de mieux rentabiliser cet investissement.

Au-delà du financement, les ressources humaines sont également un écueil à la pérennité de ces laboratoires spéciaux, car ils demandent un haut niveau d’expertise technique et les filières de formation spécialisée sont rares.

Enjeu n°3 : développer la coopération et le partage d’information

Alors que la construction de ces laboratoires de haut confinement semble être une partie de la solution à la prévention du risque de maladies infectieuses, d’autres freins restent à lever pour pleinement développer l’approche One Health.

  • Un manque de base de données et de ressources pour soutenir le partage d’information de ce domaine.
  • Un manque de cartographie des initiatives et des capacités existantes en matière de recherche sur les thématiques porteuses.
  • Un manque de modèle de systèmes intégrés de surveillance des zoonoses
  • Un manque de mécanismes de coordination systématique et de mesures d’urgences entre les parties prenantes concernées.

Alcimed peut vous accompagner dans la réalisation de vos projets liés à la gestion de plateforme technique publique d’envergure nationale, à la mise en place de solutions de prévention du risque de maladies infectieuses ou à l’approche One Health plus généralement. N’hésitez pas à contacter notre équipe !


A propos de l’auteur, 

Léa, Consultante au sein de l’équipe Innovation et Politiques publiques d’Alcimed en France

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