CRISPR, une révolution pour manipuler le génome
Le CRISPR, Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats, est un outil de recherche, de coupe et de collage de l’ADN. Comment cela fonctionne-t-il ? Nous sommes constitués de milliards de cellules (3,72 x 1013 cellules). Chacune de nos cellules contient dans son noyau notre ADN qui est hérité de nos parents. L’ADN est une molécule en hélice double brin composée de sucres, de phosphates et de molécules spécifiques qui lient les deux brins entre eux. Ces molécules sont de 4 types : A, T, G, C. La combinaison de ces lettres permet à la cellule de construire des protéines qui forment les organes et les organismes. La suppression, l’insertion ou la modification de morceaux spécifiques de cette séquence de lettres est appelée édition du génome. Le CRISPR est un outil moléculaire robuste qui peut virtuellement éditer l’ADN à n’importe quel endroit du génome.
De l’immunité contre le VIH au risque d’effets « hors cible » : l’utilisation complexe du CRISPR
He Jiankue a utilisé le gène CCR5 comme cible pour l’utilisation du CRISPR dans des embryons. Une mutation spécifique du gène CCR5 (CCR5 D32) rend les cellules CD4 immunisées contre l’infection par le VIH. L’équipe souhaitait donc a priori immuniser les enfants contre le VIH grâce à CRISPR. Les résultats de He Jiankue ont reçu un accueil fortement mitigé de la communauté scientifique et médicale, affirmant qu’il était trop tôt pour modifier les lignées germinales avec CRISPR et que cela risquait de créer le chaos dans les « instructions opérationnelles pour un être humain ». Pourquoi ?
- L’édition des lignées germinales (comme la modification des embryons) sera transmise aux générations suivantes par le biais des spermatozoïdes et des ovules. Lulu et Nana sont maintenant porteuses de variantes qui n’ont potentiellement jamais été trouvées dans la nature et dont les conséquences sur le reste de leur phénotype sont inconnues.
- Le VIH a été considéré comme une application injustifiée de CRISPR car de nombreuses alternatives permettent un contrôle correct de la charge virale et de la maladie. En outre, le gène CCR5 est également lié à une altération des fonctions cérébrales (d’après les résultats obtenus sur des souris).
- L’outil CRISPR a été documenté pour la première fois en 2012. Le risque d’effets « hors cible » (erreurs de coupe et de collage) est réel et peut conduire à des manifestations inattendues dans le génome. Dans le cas de Lulu et Nana, les résultats publiés montrent un potentiel de mosaïcisme cellulaire (certaines cellules ont subi une mutation du CCR5, d’autres non), conduisant à des conséquences qu’on ne maîtrise pas.
CRISPR et ses perspectives pour l’avenir
L’utilisation de CRISPR pour l’édition germinale porte en elle les marques d’un « eugénisme positif » fortement débattu dont l’intention est louable : utiliser des outils d’ingénierie pour éradiquer des maladies pour lesquelles un marquage génétique est clairement identifié. Les travaux de He Jiankue ont certes provoqué un big bang. Mais ils sont essentiels au renouvellement de questions complexes mêlant éthique, philosophie, religion ainsi que biologie, médecine et science des données. Alors que Jennifer Doudna, scientifique dont les travaux ont été fondamentaux à l’émergence de CRISPR, met en garde [1] sur le bon usage d’une telle technologie, ces questions restent brûlantes et non résolues.
A propos de l’auteur
Benjamin, Grand Explorateur en santé numérique, Alcimed Lyon Sciences de la Vie
[1] The promise and challenge of therapeutic genome editing, Jennifer A Doudna, Nature Feb 2020